La route de 1937 entre Saint-Etienne- les-Orgues et sa station de ski a été prolongée vers la vallée du Jabron en 1965 via le Pas de la Graille¹. Elle frôle la borne géodésique du XlXème siècle scellée à 1826 m d'altitude, le sommet du massif de Lure². Il loge un relais de transmission. Sont visibles :

• la vallée de la Durance et les Pénitents des Mées au sud-est.
• les Préalpes provençales, les Grandes Alpes à l'est et par temps clair le Mont Viso.
• le Luberon, la Sainte-Baume², la Sainte-Victoire² et le bassin de Forcalquier au sud.
• le Mont Ventoux² succédant au plateau d'Albion à l'ouest.
• les Préalpes de la Drôme provençale, le Dévoluy, le Vercors et les Ecrins au nord.
• la vallée du Jabron peu après le pied nord de la montagne de Lure.

LA CARTE « DES » CASSINI

Louis XV rejeta les imprécises cartes militaires ciblant surtout d'éventuels champs de batailles et le littoral. Il chargea en 1747 Cassini lll³ de cartographier le pays. Un collectif⁴ relaya le roi à l'arrêt de son soutien financier en 1756.

Publié par l'Académie des Sciences en 1744, le réseau géodésique⁵ triangulé de Cassini ll mailla cette carte (la région ci-contre).

Cassini lll, Cassini lV et, sillonnant le pays, dix équipes de deux ingénieurs (et un domestique) l'établirent en plus de 50 ans. La Corse cédée par Gênes en 1768, la Savoie, la Haute-Savoie et le comté de Nice rattachés à la France en 1860, et l'île d'Yeu en sont absents.

Des graveurs d'écriture pour la toponymie, de plans pour la topographie, et d'ornementation, firent 181 matrices de cuivre de 73 x 104 cm⁶ à l’eau-forte⁷ pour l'imprimerie créée à dessein à l'Observatoire de Paris. Des éditions de luxe entoilées au dos furent colorées à la main, pour Marie-Antoinette par exemple⁸.

LE RÉSEAU GÉODÉSIQUE TRIANGULÉ DE CASSINI ll

Un long trajet s'estimait jadis en temps de chevauchée…

Philosophe et savant grec, Thalès vers -600 sépara deux observateurs d'un écart connu. Chacun évalua l'angle entre le second et un voilier en mer que la trigonométrie situa en donnant les côtés du triangle ainsi formé. C'est la première triangulation décrite.

En divisant le pays en triangles contigus, Cassini ll établit sa surface⁹ à partir de visées et d'un unique (!) arpentage, atout crucial face à d'éventuels obstacles : forêt dense, falaise, plan d'eau, ville, etc… Arpenter, c'était aligner des planches de 1 toise (1,949 m), soit 15 000 fois pour 30 km !

Le savant appela « Signal » les 1 000 sommets de ses triangles, des repères visibles de loin : clocher, donjon, colline, etc… ou la tour de bois spécialement érigée dans une plaine déserte, ou la « Pyramide » bâtie sur une crête (ci-dessous vers le Revest-les-Eaux, Var)². Il les visa et vint y viser pour établir ses triangulations.

Il fit aussi vérifier par arpentage la longueur de 17 côtés de triangles répartis dans le royaume de France.

LES INGÉNIEURS CARTOGRAPHES DE CASSINI lll

Ils ratissaient pendant environ six mois la zone couvrant une des 181 feuilles devant former la carte définitive, campant avec plusieurs jours de provisions sur les « Signal » isolés de Cassini ll.

Six tâches les occupaient :

1. situer en triangulant le ponctuel au sein des triangles de Cassini ll : sommets, châteaux, tours, ponts, villes, villages, bourgs, hameaux, maisons, moulins, bergeries, vacheries (étables), chapelles, oratoires, etc…
2. dessiner le non ponctuel : rivières, routes, littoral, contour des forêts, des glaciers, des plans d'eau, etc…
3. suggérer les reliefs par des hachures.
4. décrire les sols : nature des cultures, essences dominantes des forêts, flore, marais, dunes, rocaille, etc…
5. compter les arches des ponts dont le nombre jouxte le symbole.
6. lister la toponymie, surtout avec les curés depuis le haut de leur clocher. Face à l'hostilité rurale devant ces inconnus dotés d'instruments bizarres¹⁰, des prêches invitaient les ouailles à leur faciliter le travail…

Cassini lll envoyait systématiquement une équipe d'ingénieurs contrôler les levés d'une autre. Ainsi :

• le Revest-les-Eaux vit les frères Thouvenot en 1778. Vérifiée en 1779 par Dubois et Cabay, la feuille n° 155 « Toulon » parut en 1779.
• la Sainte-Baume vit Langelée et Deslongchamps en 1778, Fessard en 1779, Thouvenot en 1780¹¹. Vérifiée par Thouvenot en 1779, Micas et Trécourt en 1780, la feuille n° 154 « Lorgues » parut en 1781.
• la Sainte-Victoire vit Langelay en 1778. Vérifiée par Lengelée en 1779, la feuille n° 123 « Aix-en-Provence » parut en 1779.
• le Mont Ventoux vit Langelay en 1775 et 1776. Vérifiée par Trécourt en 1776, les frères Thouvenot en 1777 et 1778, la feuille n° 122 « Avignon » parut en 1779.
• le sommet de Lure (ci-dessous) vit Dubois, Cabay et Luc en 1778. Vérifiée par Thouvenot et Lengelée en 1779, la feuille n° 153 « Digne » parut en 1781.

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  ¹ corneille. Nom d'une bergerie de la carte de Cassini en contrebas nord du pas actuel (en haut).² « Signal » de Cassini ll.
  ³ Cassini l, ll, lll, lV : premiers directeurs de l'Observatoire de Paris créé par Colbert, le « Méridien de Paris » coupe cet édifice.
  ⁴ la marquise de Pompadour, le comte de Saint-Florentin chargé de la Maison du roi, des membres de l’Académie des sciences,      des militaires de haut rang, des magistrats de la Chambre des comptes et du parlement de Paris, des conseillers d’État, etc…
  ⁵ la cartographie décrit la surface du globe, la géodésie y positionne les éléments.⁶ archive de la B.N.F.
  ⁷ procédé chimique de gravure à l'acide d'une plaque de métal revêtue d'une couche vernie.⁸ c'est celle du site l.G.N.
  ⁹ 20% plus petit que prévu.¹⁰ règle, compas, rapporteur, graphomètre à lunette (planche graduée en azimut sur un trépied).
¹¹ un « Signal » de Cassini ll pouvait servir à l'élaboration de plusieurs cartes de Cassini lll.