Format PDF CHARBONNIER DANS LURE
 Claude MESNIL   2010
LA MEULE

Produire 5 tonnes de charbon de bois occupait une famille un mois :

Nivelage du sol, coupe, bref séchage et portage à dos d'homme de 30 tonnes de feuillus1, création d'une meule2, isolation externe par 10 cm d'argile coiffant 20 cm de mousses et de feuilles humides, pose de baragnes3. Succédaient 3 jours d'allumage à l'aide de 300 kg de petit bois et de seaux de braises par un conduit central. Après une phase de fumée jaunâtre due aux vapeurs de goudron, il était obturé quand la suée4 blanche virait vers 300° au bleuâtre.

Puis la semaine exigeait nuit et jour la surveillance de la meule afin de gérer son tassement graduel et enrayer un départ de feu. Des évents en périphérie réglaient la carbonation5, une fumée transparente en révélait la fin.

Suivaient le décroûtage au râteau de la coiffe d'argile, le tiédissement du charbon de bois, 5 jours de démontage attentif au risque d'embrasement, le refroidissement, et enfin le transfert muletier en couffes6 vers le pesage. Le produit final devait être de couleur bleu acier et rendre un son cristallin, signes de qualité.

Les sites, nommés « charbonnières », peuvent dater du Moyen-Âge. Ils resservaient dès la repousse de la forêt proche, soit environ 25 ans. Le nivelage du sol était ainsi réduit et la charbonille7 de la meule précédente aidait à l'allumage de la nouvelle. L'activité s'étendait de mai à novembre.

LE CHARBON DE BOIS

C'est le résidu de la combustion partielle du bois isolé de l'air. Il fut d'abord estimé pour sa valeur calorifique :

Il a aussi d'autres utilisations :

Les sacs de charbon de bois destinés aux barbecues d'aujourd'hui ont une origine industrielle…

LES CHARBONNIERS

Des Piémontais, puis des Lombards, évincèrent des forêts au XlXème siècle les Auvergnats qui y travaillaient depuis toujours. Ils menaient la vie précaire des tâcherons, assez méprisés des autochtones.

Quelques poules, leurs œufs, de la polenta, les produits de la chasse et de la cueillette, du lait et du fromage de chèvre, des pommes de terre troquées contre du travail aux champs, assuraient les repas.

Les chèvres friandes de jeunes pousses étant jugées être un facteur de déboisement, les gardes-forestiers n'en toléraient que deux par famille avec enfant(s), et une dans le cas contraire.

L'abri bas et exigu (± 4 m²) du charbonnier solitaire résistait bien au vent. Le bâti en branches de son toit portait des feuillages coiffés de terre. Sa porte faite d'un fagot s'ouvrait sur la meule car la surveiller était « la » priorité. Un lit de ramilles, une niche murale et un foyer entre deux pierres meublaient l'intérieur. Les outils, des ustensiles de cuisine, une lampe-tempête et quelques vêtements pendaient. Les familles habitaient plutôt des cabanes faites de bric et de broc.

Beaucoup se feront naturaliser avant le conflit de 1939 face aux lois limitant l'emploi d'immigrés. Les fours métalliques mobiles, l'arrivée du confort à domicile à partir des années 1950, la pétrochimie et les importations du charbon de bois d'Espagne ruineront cette activité.

LES FOURS MÉTALLIQUES MOBILES

Aisément démontables, ils se véhiculaient dans les coupes de bois. Certains récupéraient le goudron et les gaz. Des indochinois amenés de force, des forestiers, les « Chantiers de Jeunesse Vichystes8 », puis des prisonniers allemands les utilisèrent dans les années 1940. Ce matériel exigeait peu de pratique et de vigilance, il méprisait la pluie. La cuisson était rapide, le résultat moyen. Usagers alors visés, les camions à gazogène digéraient ce produit peu cher.

Dédaignant ces rivaux indignes de leur savoir-faire, les charbonniers traditionnels furent pourtant obligés de se reconvertir peu à peu en dépit d'un regain d'activité sous l'Occupation lié à l'autarcie rurale et au manque de carburant.

Ils choisirent le plus souvent de rester travailler dans les forêts en devenant bouscatiers9 ou scieurs de long10.

EN RANDONNANT

Un œil exercé repérera des charbonnières à proximité ou sur des chemins :

Il est moins assuré au cours d'une sortie en forêt de croiser un four métallique mobile entier qu'une base, les coiffes ayant souvent été recyclées en récipients géants dans les campagnes (ci-dessous à droite, transport du raisin pendant la période des vendanges. Diamètre 2,50 m)…


1 chênes et hêtres dans Lure.    2 amas de rondins placés en calotte demi-sphérique.3 haie tressée très dense abritant du vent.
4 évacuation de l'humidité contenue dans le bois chauffé.5 cuisson isolée de l'air effectuée à température modérée.
6 sac en toile de jute solide ou panier souple tressé.7 petits résidus de charbon de bois, braise éteinte.
8 organisation paramilitaire s'étant substituée à la conscription abolie par l'armistice de 1940 (zone libre et Afrique du nord). Les     jeunes s'occupaient de travaux d'intérêt général, principalement dans les massifs forestiers, dans une atmosphère martiale.
9 bûcherons en langue d'Oc.10 2 hommes scient des troncs d'arbres dans le sens du fil pour en faire des planches.