Format PDF NAVIGUER SUR LA MOYENNE DURANCE
 Claude MESNIL   2011
La vallée de la Durance fut la voie de communication terrestre et fluviale entre la Gaule méridionale et l'Italie du Nord. L'insécurité, les crues, les éboulis et le ravinement dus aux orages pénalisaient sa piètre chaussée alors qu'une forte activité régnait sur sa rivière pourtant périlleuse et fantasque.

Un dénivelé de 1847 m dévalé en 304 km faisait de la Durance le 3ème plus rapide cours d'eau de France. Ses crues ravageuses et brusques étaient particulièrement craintes.

Son débit, avant les grands travaux d'aménagement effectués entre 1955 et 1992 pour le réguler, passait de 50 m³/s à l'étiage1 à 6000 m³/s pendant les crues.

D'ANCIENS MÉTIERS DE LA DURANCE

LES BATELIERS

Les bateaux descendaient la Durance depuis Savines3. Ils emportaient des passagers, du minerai, des ardoises, du marbre et de belles pierres. Ils ramenaient entre autre du sel marin que des convois de mulets transportaient ensuite au grand marché spécialisé de Briançon. De là, les acheteurs acheminaient ces sacs dans les hautes vallées des Alpes pour la salaison des viandes et l'apport au bétail.

LES RADELIERS

Souvent négociants en bois en Haute-Durance, ils alimentaient les charpentiers et les constructions navales de Marseille, Toulon, Martigues et Arles. La batellerie d'Avignon assurait la fin du trajet sur le Rhône et en mer.

Un navire long de 70 m exigeait 12 000 arbres. Les troncs de mâtage des plus grands excédaient 20 m de long et 1 m de diamètre. Des attelages de bœufs les amenaient jusqu'à la rive de la Durance.

Six hommes montaient en une journée un radeau en liant entre 12 et 24 troncs de sapins ou de mélèzes longs de 12 à 14 m. Des traverses rigidifiaient l'ensemble. Des rames étaient fixées aux deux extrémités. Des perches aidaient aux départs et aux accostages des quatre jours de navigation assez risqués.

De hardis passagers et du fret insensible à l'eau étaient les bienvenus afin de conforter le profit des radeliers, les taxes versées au profit des religieux majorant jusqu'à 15 fois le prix de revente du bois…

Leur trajet de retour s'effectuait à pied, sur l'antique voie domicienne4 à partir du village de Lurs. Elle enjambait la Durance à Sisteron.

Le flottage « à bûches perdues » apparut à partir du XVlème siècle. Des grumes5, balancées dans le courant des plus grands affluents comme la Bléone, l'Ubaye et le Buëch, étaient interceptées à la confluence avec la Durance afin d'y être assemblées en radeaux pour achever leur périple.

Des sanctuaires balisaient les dangers importants :

Le passage recensé en 1896 à Sisteron de seulement onze radeaux témoigne de la quasi disparition de cette activité sur la Durance…

LE PORT DE L'ESCALE

La confluence de la Durance et de la Bléone fut habitée dès la Préhistoire. Sur la voie salinienne6, l'Escale y fut un port gallo-romain très actif.

Face à l'insécurité régnant localement au Vème siècle, une hauteur proche abrita le site fortifié de Vière. Un bac est attesté au Xllème siècle. Le village d'aujourd'hui se déploya autour de l'église Notre-Dame de Mandanoïs au XVlème siècle. Rentrant de son exil à l'île d'Elbe en 18157, Napoléon le longea après une nuit passée au château de Malijai.

La mise en eau du barrage de l'Escale liée à l'aménagement Durance-Verdon noya les 3,5 hectares du port et son « agglomération-rue » en 1963. Des fouilles de sauvegarde livrèrent auparavant des statuettes, des blocs architecturaux, des pièces de monnaies, des bijoux ainsi que la plus grande collection de bronzes antiques de Haute-Provence. Ces trouvailles sont exposées aux musées de Riez et d'Avignon.

LA FIN DE LA NAVIGATION SUR LA DURANCE

Des routes modernisées, des ponts suspendus, et surtout l'arrivée du chemin de fer, condamnèrent les activités fluviales vers la fin du XlXème siècle. Le dernier bateau serait passé sur le cours d'eau en 1908…

Seule la navigation de loisir non polluante subsiste sur les lacs formés par les barrages…


1 niveau annuel moyen des basses eaux d'une rivière à partir duquel on mesure les crues.
2 ordre créé à Jérusalem vers 1080, présent en Terre sainte, à Chypre, à Rhodes, et enfin à Malte avant son expulsion de l'île et
   sa dissolution par Bonaparte en 1798.
3 le village fut détruit et les cimetières déplacés avant la mise en eau du barrage de Serre-Ponçon en 1961.
4 voie romaine créée à partir de -118 entre Rome et l'Espagne via Sisteron, Peipin, Peyruis, Forcalquier, Mane, Apt, etc…
5 tronc coupé, ébranché, mais non écorcé.
6 reliant Sisteron à Digne sous les Romains. Le pont suspendu de Trébaste entre l'Escale et Château-Arnoux atténua son rôle.
7 324 km de Golf-Juan à Grenoble évitant la vallée du Rhône (hostile) via Digne, Malijai, Château-Arnoux, Sisteron, Gap…